Prenez le mot « fiançailles ». Il est devenu presque aussi désuet que le mot chandail que n’utilise plus guère que ma grand-mère. Un mot que l’on ne voit plus que sur les couvertures des journaux exposés à l’entrée des églises, au-dessus d’une photo de deux tourtereaux qui se sourient assis dans l’herbe, le sourire benêt en se tenant la main. Ou sinon dans les écoles maternelle. Car voilà, c’est comme ça. Par un glissement lexical étrange, les fiancés ont déserté la tranche des 20/30 ans pour rejoindre celle des 3/6ans : « Alors Théo, c’est ton fiancé ? » demande l’assistante maternelle à la petite Léa qui est en moyenne section. « Et c’est qui ta fiancée à toi? », interroge avec un ton curieux et gourmand la mamie de Valentin en venant le chercher à la garderie.
Passé le cours préparatoire, exit le fiancé. Par une inversion sémantique similaire, le mot « copain» a quitté les cours de récréation et les ambiances Petit Nicolas pour gagner les bancs de l’Université et le monde du travail. Il revêt aujourd’hui, -comment dire ?-, un caractère plus intime : Avec le copain d’aujourd’hui, on ne fait pas QUE jouer aux billes. « Z’avez pas entendu parler d’un studio à louer dans le coin, pour ma fille et son copain ?» me demande ma coiffeuse entre le shampoing et le brushing.
Même constat, dans un autre registre, pour le mot ethnique. Dans mon enfance, « ethnie » était un mot rare, confiné dans les bouquins de géo, pour évoquer les wolofs et les peuls, les tutsis et les hutus. On le trouvait aussi sous les photos des peuplades primitives qui peuplaient les pages « grands reportages » de Paris Match et cela vous avait un côté sagaie et os dans le nez.
Mais tout cela a changé. L’adjectif ethnique s’est fait la belle : A quitté l’univers des encyclopédies pour poser les valises sur les têtes de gondole de mon supermarché. Avec le multiculturalisme, le marketing «ethnique », – plus doux à l’oreille et moins polémique que marketing « communautaire » -,a fait depuis quelques années son apparition, « visant à cibler les consommateurs de façon différenciée selon leur origine ».
Les rayons « ethniques » s’articulent autour de deux axes : le secteur alimentaire (le halal, bien sûr, mais aussi toutes sortes d’ingrédients importés, constitutifs des spécialités culinaires des minorités visibles), et le secteur cosmétique.
Néanmoins, on se demande actuellement si cette migration linguistique va durer et si l’adjectif ethnique ne va pas être renvoyé fissa par le premier charter dans les pages glacées de l’atlas Bordas. Il ne ferait pas, en effet, l’unanimité. A l’intitulé « rayon ethnique», on préférerait désormais « rayon du monde », (moins connoté), voire pas d’intitulé du tout, certains se demandant d’un coup si cette segmentation n’aurait pas finalement des relents ségrégationnistes. Comme si l’on voulait parquer dans un coin celles qui utilisent les défrisants et les empêcher de se mélanger aux consommatrices de shampooing à la camomille. Une sorte d’Apartheid version grande distribution. Non mais quelle gaffe.