Lorsque les communistes prennent la tête d'une croisade "pour les droits de l'homme, la paix, la justice, le progrès, il s'agit en fait de certains droits de l'homme, d'une certaine paix, d'une certaine justice, d'un certain progrès. Dans leur vocabulaire, le contraire des droits de l'homme s'intitule droits de l'homme; le contraire de la paix, c'est la paix; le contraire de la justice, c'est la justice. Le langage communiste, ou "P.C.F", a le pouvoir magique de transformer le sens des mots les plus simples. C'est une véritable langue étrangère, qui n'est pas directement accessible au non-initié.
Christian JELEN, présentant son livre "Le PCF sans peine", 1981
L'idéologie est un système verbal, qui repose sur des mots et se nourrit de mots. Lui donner des mots, lui céder sur des mots, c'est lui conférer la seule réalité dont elle soit capable. (...) "Racisme" fait désormais partie, avec "impérialisme" et "fascisme", de ce groupe de notions indéterminées qui peuvent être appliquées à n'importe qui et n'importe quoi selon les intérêts immédiats du pouvoir idéologique, ce qui a toujours été une des supériorités du bolchevisme sur l'idéologie nazie. (...) A mesure que la réalité dérive comme elle peut loin du "socialisme", la parole et l'écrit publics la décrivent colline "un socialisme en construction". Une scission entre la réalité et la surréalité se produit. L'art de la parole consiste en ce que la réalité verbale ressemble extérieurement à la réalité, colle à elle, la serre au maximum. Jamais pourtant ne se produit le miracle de l'adaequatio rei et intellectus,de l'adéquation, plutôt, de la chose et du mot.
Alain Besançon, "Présent soviétique et passé russe", 1980 .
De façon générale, on peut dire qu'en Chine les gens disposent maintenant de deux niveaux de langage: l'un naturel et humain, qui leur permet d'utiliser leur propre voix, et qu' ils adoptent pour bavarder de leur santé, du temps qu'il fait, de la nourriture, du dernier match de basket-baIl, etc., et l'autre strident et machinal, pour traiter de toute question politique. (...) Le jargon de l'idéologie est en prolifération constante: le régime croit pouvoir se sauver de la banqueroute idéologique en se réfugiant dans l'inflation verbale. (...) J'ai déjà signalé plus haut quelques-unes de ces distinctions logomachiques qui amènent le langage courant à perdre son sens: ainsi celle qui est faite entre les " stimulants matériels" (maudits) et les " justes rétributions proportionnées au labeur fourni" (encouragées); on pourrait y ajouter " la révolution permanente" (hérésie trotskiste) et la " révolution continuelle" (développement génial et créateur apporté par Mao Tse-tung à la pensée marxiste).
Simon LEYS, "Ombres chinoises", 1974.
De l'aventure connue sous le nom d'hitlérisme, dégageons maintenant des conclusions valables pour bien d'autres époques de l'histoire. Ce n'est pas d'envahir un petit pays qui est diabolique, cela s'est fait de tous les temps, c'était si l'on peut dire, égoïsme normal, soif de richesses, vulgaire impérialisme; ce qui est diabolique, c'est d'appeler cela " consolider la paix " ou " fonder le nouvel ordre ". Ce n'est pas d'annexer la Tchécoslovaquie qui est diabolique, mais c'est de le faire au lendemain d'un discours où l'on invoque " le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ". Ce n'est pas de transformer le territoire du voisin en champ de carnage et de bombardement, mais c'est d'appeler ce champ de mort " espace vital ". Ce n'est pas de violer les Traités, mais c'est de vouloir s'innocenter en proclamant en tête d'un nouveau Code : "Le Droit est ce qui sert le peuple allemand." Ce n'est pas d'attaquer les Eglises, mais c'est de le faire en nationalisant la Providence, et en son nom. Ce qui est proprement diabolique, c'est moins de faire le mal que de le baptiser bien, quand on le fait. C'est de vider tous les mots de leur sens, de les retourner et de les lire à rebours, selon la coutume des messes noires. C'est d'invertir et de ruiner par l'intérieur les critères même de la vérité. Et c'est enfin d'aller loger le mensonge, de préférence, dans une parole de vérité !
Denis de ROUGEMONT , "La part du diable",1942